RDC: PRESIDENTIELLE 2011:QUELS CHALLENGERS POUR KABILA?
À l’approche du scrutin de 2011, l’opposition congolaise cherche à se mettre en ordre de bataille. Entre jeux d'alliances et rapprochements tactiques, Bemba, Tshisekedi et Kamerhe se présentent comme de sérieux challengers pour Kabila.
Un an avant le scrutin présidentiel, prévu pour novembre 2011, personne ne parle de campagne électorale en RD Congo. Mais tout le monde ne pense qu’à cela. La population constate, avec une bonne dose d’amertume, le décalage entre les promesses entendues en 2006 et les avancées réelles dans la reconstruction du pays.
Il y a quatre ans, les 60 millions de Congolais étaient pressés d’en finir avec le chaos – le choix des urnes devant se substituer à la voie des armes. Et de ce point de vue, le positionnement du candidat Joseph Kabila – l’homme de la transition soutenue par la communauté internationale – offrait un net avantage sur Jean-Pierre Bemba – l’ex-chef de mouvement armé.
Opposition en ordre de marche
En 2011, la donne sera différente. Kabila peut compter sur la « prime au sortant », mais il va devoir aussi défendre un bilan et donc nécessairement se justifier sur les manquements, les retards… De ce point de vue, ses nombreuses et récentes tournées dans le pays prouvent que la campagne d’explication a commencé. Quant à l’opposition, si elle est orpheline du leader Bemba – « retenu » à La Haye –, elle a très clairement entamé un processus pour se mettre en ordre de marche.
Ambitions déclarées ou supposées, alliances recherchées ou recompositions internes, les grandes manœuvres ont commencé. Au cœur de ce maelstrom, trois hommes : le prisonnier de la Cour pénale internationale (CPI), Jean-Pierre Bemba (Mouvement de libération du Congo, MLC), l’opposant historique, Étienne Tshisekedi (Union pour la démocratie et le progrès social, UDPS), et enfin l’ancien fidèle de Kabila tombé en disgrâce, Vital Kamerhe.
Tandis que le challenger de 2006 ronge son frein à La Haye depuis 2008 et espère toujours un retour sur la scène politique congolaise, il est préférable de prendre les devants. Avec ou sans Bemba ? En janvier prochain, le MLC devrait tenir un congrès et désigner son candidat. Pour certains, il est naturel que le numéro deux, le secrétaire général du parti, François Muamba, endosse le costume. Mais cette perspective est loin de faire l’unanimité. Outre qu’il est loin d’être acquis que le « chairman » accepte de laisser sa place, des proches de Bemba soutiennent qu’il peut être candidat, même en attente d’un jugement.
« Bemba, c’est le Muana mboka [« l’enfant du pays », en lingala, NDLR]. C’est ainsi qu’il a bâti sa popularité, notamment à Kinshasa », décrypte Arsène Mwaka Bwenge, professeur de sciences politiques à l’université de Kinshasa. Avant d’ajouter : « Il sera difficile pour Muamba de surfer sur la même vague. Bemba touchait le cœur des Kinois, il savait parler au petit peuple. »
Le prisonnier le plus célèbre
Tribun hors pair, volontiers populiste et n’hésitant pas à souffler sur les braises ethniques, Bemba a fait du MLC le premier parti d’opposition. Malgré quelques défections et des tensions entre cadres, Muamba est parvenu en l’absence du chef à maintenir une certaine cohésion dans les rangs. La formation a perdu sa tête, mais, avec 64 députés, 17 sénateurs et de nombreux élus dans les assemblées provinciales, elle est incontournable.
Résultat, Bemba est très courtisé. Kamerhe s’est rendu à La Haye et Tshisekedi a reçu à son domicile Fidèle Babala, l’homme de confiance du plus célèbre prisonnier congolais. Se prévaloir de son soutien est un atout, une carte maîtresse et éventuellement la clé de Kinshasa… Quant au MLC, il a besoin d’appuis hors de ses deux fiefs (Kinshasa et l’Équateur) et plus généralement au-delà de l’ouest du pays.
En bon tacticien, le secrétaire général du MLC soigne donc ses relations avec les alliés potentiels. En premier lieu, l’UDPS. Il a ainsi ardemment milité pour que le parti de Tshisekedi – qui a boycotté les dernières élections et n’a donc aucun élu au Parlement – puisse tout de même avoir un représentant au sein de la future Commission électorale nationale indépendante, la Ceni. Cette institution, composée de trois membres de l’opposition et de quatre de la majorité, doit succéder à la Commission électorale indépendante (CEI), en place depuis la transition.
Fortement implanté au Kasaï, très populaire dans les quartiers de Kinshasa, le Sphinx de Limete a l’avantage de l’ancienneté. Il est l’opposant éternel, connu et respecté. Mais il a aussi, aux yeux de certains, parfois manqué d’audace, restant cantonné à un discours sur l’alternance démocratique quand d’aucuns pensaient que seules les armes feraient tomber le maréchal Mobutu. Des militants se sont lassés et ont rejoint d’autres formations politiques. Quant au boycott lors des dernières élections présidentielle et législatives, il a dépouillé le parti de tous relais locaux et vidé les caisses.
C’est un parti sinistré que Tshisekedi va donc retrouver à son retour à Kinshasa, en décembre. Divisée en trois tendances, l’UDPS peut resserrer les rangs autour de son fondateur mais reste fragilisée par ses déchirements internes. Et, apparemment remis de sa longue maladie, le leader historique de l’opposition accuse néanmoins le poids des ans. « Les Congolais sont un peu échaudés par l’expérience Gizenga, [dirigeant du Parti lumumbiste unifié (Palu), troisième aux élections de 2006 avec 13,06 %, NDLR]. Le Premier ministre nommé en décembre 2006, à 81 ans, a dû démissionner vingt mois plus tard », souligne Arsène Mwaka Bwenge.
Du perchoir à l'isoloir
L’autre poids lourd de la prochaine présidentielle pourrait être Vital Kamerhe. Celui qui fut l’artisan de la victoire de Kabila en 2006 – et notamment des scores fleuves obtenus dans les deux Kivus – songe très sérieusement à défier le chef de l’État. Tombé en disgrâce après avoir usé – et abusé ? – d’une certaine liberté de ton, il a été contraint à la démission de son poste de président de l’Assemblée nationale, en mars 2009. Officiellement, il est encore membre de la formation présidentielle, le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD). Il aurait cependant déposé, en juin, les statuts de l’Union nationale pour le Congo (UNC) et attend depuis une reconnaissance officielle.
Populaire dans sa province d’origine (le Sud-Kivu), il a besoin de soutiens dans l’Ouest s’il veut compter sur le plan national. Ses atouts : de nombreux amis et alliés dans les rangs de l’opposition mais également parmi les membres de l’AMP, l’Alliance pour la majorité présidentielle, où là aussi les dissensions sont très fortes. « L’attaquant de base de pointe » de Kabila en 2006 vise à présent un rapprochement avec le MLC. Pour le moment, le parti de Bemba reste sur ses gardes.
Lors de l’ouverture de la session parlementaire, le 15 septembre, Kamerhe a reçu une impressionnante ovation confirmant sa grande popularité dans l’hémicycle. Mais il n’est pas parvenu à poser devant les caméras au côté de François Muamba… « C’était sa journée. Je ne voulais pas lui faire de l’ombre », commente goguenard le secrétaire général du MLC.
Faute de s’être déjà lancé officiellement dans la campagne, l’ancien président de l’Assemblée laisse planer le doute sur sa réelle rupture avec le chef de l’État. « Si Kamerhe est au second tour, on est derrière lui, sans hésitation. En revanche, je ne suis pas tout à fait sûr que l’inverse soit vrai », lâche Muamba. Fidèle Babala préfère, lui, envisager dès à présent une « plateforme politique » réunissant Bemba, Kamerhe et Tshisekedi.
Outre ces stratégies politiques et ces jeux d’alliances, les moyens financiers seront également décisifs. Quelle que soit la popularité de chacun, tous ceux qui se lanceront dans la bataille pour la gagner (et non pas pour monnayer leur soutien) ont besoin de ce puissant levier. L’UDPS est loin de rouler sur l’or, le MLC vit sur la cassette personnelle de Bemba, Kamerhe – qui s’est montré jusqu’ici particulièrement prodigue avec ses proches – va devoir trouver, au pays ou à l’étranger, de quoi alimenter la cagnotte. Une campagne coûte cher, le pays est vaste, les attentes énormes, et les militants actifs se paient cash.
Trouver une date
Reste la grande question à laquelle personne encore n’a de réponse : l’élection aura-t-elle lieu en novembre 2011 comme annoncé ? La date est contestée et jugée anticonstitutionnelle par l’opposition. « Le scrutin doit avoir lieu trois mois avant la fin du mandat actuel, soit avant le 6 septembre », insiste Muamba. Ce dernier ajoute que c’est à la future Ceni – et non à la CEI, toujours en place – de décider d’un report du scrutin pour des raisons techniques.
Le président de l’Assemblée nationale, Évariste Boshab, avait donné jusqu’au 25 septembre aux partis politiques pour s’entendre sur les noms de leurs représentants au sein de la Commission électorale. À eux ensuite de mettre en place leur règlement intérieur et de se choisir un président. La session parlementaire ouverte le 15 septembre pourrait aussi être le lieu de la réforme de la loi électorale et de la Constitution.
Autre point encore en suspens : le coût des élections. La facture présentée par la CEI (712 millions de dollars, dont 350 millions financés par le gouvernement) a fait bondir les bailleurs de fonds. Pour l’heure, le tour de table n’est absolument pas bouclé. L’opposition souhaite que la communauté internationale s’implique dans le financement, comme en 2006, mais aussi dans la surveillance des élections afin de garantir une certaine transparence.
« Nous préparons dès aujourd’hui le cadre pour que demain il n’y ait pas de place pour les contestations », explique Muamba. En août 2006, au lendemain des résultats du premier tour, les affrontements entre la garde présidentielle et les hommes de Bemba avaient fait une trentaine de morts à Kinshasa. Le pays était resté sur le fil, prêt à replonger dans le chaos.
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