La nouvelle du décès de Mr Ludo Martens, écrivain, historien  et journaliste belge, le dimanche 5 mai 2011 aux petites heures du matin à Bruxelles attriste les patriotes congolais. Et pour cause ? Ce grand analyste de l'évolution du mouvement nationaliste et révolutionnaire congolais s'est toute sa vie durant investi à éclairer l'opinion tant nationale qu'internationale sur la quintessence de l'œuvre de la résistance héroïque du   peuple congolais à l'ordre colonial et néocolonial.

Le communiqué officiel du Parti du Travail Belge dont il a été un de principaux fondateurs et Président pendant plusieurs mandats mentionne que cette figure de proue du mouvement progressiste international quitte la terre des hommes à l'âge de 65 ans de suite d'une longue maladie. L'illustre disparu laisse à la postérité, outre une abondante bibliographie engagée, deux enfants dont, soit dit en passant,  les mères sont des africaines, burkinabé pour sa fille aînée et congolaise pour son dernier garçon.

Dans sa jeunesse, ce fils aîné d'un fabricant de meuble de la petite commune de Wingene en Flandre Occidentale montre un intérêt évident pour les langues et devient vite le rédacteur en chef du journal de son école rédigé en néerlandais « Standard ». Analyser les engagements du petit peuple, sa résistance, ses révoltes, ses défaites, ses victoires, etc. était la trame principale de ses articles.

En 1965, le jeune prodige est inscrit à la Faculté de Médecine à Louvain. Pétri de talent et pétillant d'intelligence, tout le monde voit en lui un futur médecin brillant. Mais, hélas, le sort en décidera autrement. Devenu très actif dans l'union catholique flamande des étudiants du supérieur, avec quelques amis, il a commencé à donner une impulsion progressiste et internationaliste aux visées au départ étriquées et conservatrices de ce mouvement.

Se butant alors contre l'establishment académique et la droite, Ludo Martens et son groupe d'amis seront aussitôt virés de ce mouvement et du journal « Notre vie » qu'il dirige. Ses articles que d'aucuns trouvaient gênants furent finalement  pris comme prétexte pour justifier son exclusion de Louvain.

A partir de ce moment, il fit de la lutte contre le nationalisme borné et le racisme son cheval de bataille. A la faveur du bouillonnement estudiantin de mai 68, il rencontre des étudiants marxistes allemands à Berlin qui lui refilent les œuvres de Marx et de Lénine. Cela va lui permettre de réorienter sa lutte en créant un front uni Étudiant– Travailleurs pour contrer les injustices sociales.

C'est ainsi qu'après son exclusion de Louvain, Ludo Martens se rend à l'université de Gand où il trouve dans la mouvance estudiantine de cette institution académique un terrain de prédilection pour combattre la censure, pour augurer l'avènement d'une université démocratique et pour développer une solidarité active entre les étudiants et le monde du travail.

Pour traduire de façon durable et manifeste leur expression de lutte contre l'exploitation capitaliste, après avoir vécu pour la plupart l'expérience ouvrière en travaillant à l'usine  après une  interruption volontaire de leurs études universitaires, Ludo Martens et ses camarades décidèrent de créer un parti de classe ouvrière dénommé « Tout le pouvoir aux ouvriers » en français, TPO en sigle, « Alle macht aan de arbeiders » en néerlandais, AMADA en sigle.

En plus de ce parti, un journal à caractère national qui est devenu aujourd'hui « Le Solidaire » avait vu le jour. Concomitant avec le nouveau parti, les jeunes révolutionnaires belges d'alors lancent l'asbl Médecine pour le Peuple où, à travers des maisons médicales, les soins gratuits de première ligne sont prodigués à la population ouvrière démunie, notamment celle de Hoboken.

En 1979, dix ans plus tard donc, AMADA sera rebaptisé Parti du Travail Belge, PTB en sigle. Son ouvrage « Le parti de la révolution » explique les trente années d'expérience de la lutte pour la création de ce parti communiste ouvrier. En 1985, Ludo Martens brise la loi du silence en publiant aux éditions EPO en Belgique son livre titré « Pierre Mulele ou la seconde vie de Patrice Emery Lumumba », lequel met la lumière sur  l'histoire occultée de la lutte de libération du peuple congolais à travers l'action d'un de grands épigones de Patrice Emery Lumumba : Pierre Mulele.

Dans son livre, Ludo Martens décrit avec bonheur la vie de ce révolutionnaire congolais remarquable, ancien ministre de l'Education de Patrice Emery Lumumba, dans son maquis de Kwilu–Kwango. Avant lui, rien n'avait été dit, hormis des mensonges, sur cette étape glorieuse de la résistance glorieuse du peuple congolais à l'ordre inique et néocolonial que le monde occidental avait installé au Congo après la neutralisation et l'assassinat de Lumumba.

Ludo Martens récidive quelque temps après avec « Abo, une femme du Congo », un ouvrage d'une beauté littéraire évidente qui met en exergue la bravoure de Mme Léonie Abo, la compagne de Pierre Mulele sous l’insurrection armée. En lisant ce livre enivrant, on ne peut qu'être contaminé par la sympathie de l'auteur à l'égard de cette femme du peuple qui a su, à travers la lutte de Pierre Mulele, mettre toute son énergie dans la lutte contre la dictature et  l'oppression.

Plus tard, la « Nouvelle Scène Internationale » le mettra en scène avec un spectacle ponctué des percussions de Chris Jones, l'ami de l'auteur qui était, affirme-t-on, un amoureux de jazz. Il est en de même de l'Institut National des Arts de Kinshasa qui a interprété cette œuvre sous le titre « Le léopard et le clochard ». A la fin de sa lecture, Winnie Mandela avait affirmé qu'elle n'avait jamais lu un livre aussi émouvant sur la participation d'une femme dans la lutte de libération du continent noir. La chanteuse Oumou Sangara s'est inspirée de cet ouvrage pour composer dix chansons de son riche répertoire.

Au lendemain de la prise de pouvoir de Mzee Laurent Désiré Kabila en 1997,  Ludo Martens l'ancien « persona non grata » du régime déchu décide de concentrer ses activités militantes à Kinshasa. D'allure simple et austère, Ludo Martens était pourtant un homme ouvert à tous les contacts, notamment avec le peuple d'en bas. Tout président du PTB qu'il était, il avait choisi de vivre dix ans durant dans le dénuement des quartiers populaires de Kinshasa, parfois sans électricité, à Matonge et ses environs,  n'hésitant pas à aller tenir des conférences ou organiser des séminaires à Masina ou à Camp Luka.

En fait, ses contacts avec les étudiants latino-américains à l'université avaient déjà préparé le jeune révolutionnaire belge à intérioriser pleinement la lutte de Che Guevara et l'expérience de Mao Zedong contre le colonialisme et l'impérialisme. Et depuis, la solidarité internationale qui s'est traduite notamment par son adhésion à la défense de la cause vietnamienne ou de celle des noirs aux États-Unis est une des caractéristiques permanentes de sa personnalité plurielle.

Dès 1968 déjà,  il avait compris que les progressistes occidentaux avaient le devoir de soutenir le combat du peuple congolais pour le sortir du joug de la dictature mobutiste, nouvelle forme de l'oppression capitaliste. Pour Ludo Martens,  en étouffant  l'émergence de la conscience nationaliste et révolutionnaire au Congo, le colonialisme a permis à Mobutu de créer un establishment d'apparatchiks corrompus et véreux prêts, pour garder leurs privilèges et leurs prébendes, à brader les richesses de leur pays aux puissances étrangères.

Ludo Martens s'engage alors à soutenir ceux des Congolais qui voulaient sortir leur patrie de  cette domination impérialiste néfaste, en leur redonnant confiance en eux-mêmes, en les aidant à regarder désormais avec fierté leur passé ainsi que leur histoire à dessein tronqués par les occidentaux. Il  leur rappelait également, à travers ses articles, ses prestations radiotélévisées sous forme d'interviews ou de débats, ses publications, ses interventions publiques ou privées, ses analyses, ses conférences et ses séminaires de formation ainsi que les organisations et regroupements qu'il avait tant soit peu réussi à mettre sur pied,  l'œuvre immense des hérauts de la lutte contre l'oppression et l'exploitation du peuple congolais, notamment Patrice Emery Lumumba, Pierre Mulele et Mzee Laurent Désiré Kabila.

Ludo Martens exhortait les Congolais auxquels il s’adressait d'être les continuateurs des œuvres de leurs héros à travers leurs engagements politiques, leur unité et leur solidarité. Son séjour en RDC lui a en outre permis de peaufiner et de publier un gros livre titré « Kabila et la Révolution congolaise », lequel donne une analyse autorisée des péripéties de la lutte de ce grand révolutionnaire congolais qui parvint dans des conditions exceptionnelles à bouter dehors le régime de Mobutu, un régime qui s’incrusta trente-deux ans durant dans un Congo aux richesses incommensurables en le reléguant dans le concert des pays les plus pauvres de la planète.

Malheureusement voilà que pris de court par la maladie, Ludo Martens n'a pas pu achever la rédaction du second tome de ce livre riche en enseignements…

Ce qui est vrai, c’est que du travail de Ludo Martens est née  une graine révolutionnaire et nationaliste à jamais implantée dans la conscience révolutionnaire et nationaliste des populations congolaises. Et cette graine deviendra un jour le gros baobab qui, en concrétisant les pensées des précurseurs de la lutte contre l'oppression et l'exploitation de la RDC dans toutes ses formes, conduira le grand Congo et son vaillant peuple vers le chemin de son développement.

Correspondance de Jean-Paul ILOPI Bokanga/MMC